Les championnats du monde de ski de Méribel-Courchevel, qui s’achèvent ce week-end, auront mis en lumière la question de la relève chez les athlètes tricolores. Car derrière les Worley, Pinturault et autres Clarey, le ski français peine à se trouver de nouvelles têtes d’affiche. C’est particulièrement vrai pour les épreuves de slalom qui ont lieu ce week-end. Les filles sont absentes du plus haut niveau mondial depuis de nombreuses années, les garçons ne s’en remettent eux qu’aux très bonnes performances de Clément Noël. Derrière, les jeunes peinent à franchir le cap. Eléments d’explication.
C’est, de l’aveu du directeur technique national du ski français Pierre Mignerey, un « vrai chantier ». La France aura beau ne pas terminer fanny ces championnats du monde, grâce notamment à un Alexis Pinturault des grands rendez-vous (or sur le combiné, et bronze en super-G), la Fédération française de ski pourra difficilement se cacher à elle-même que la relève n’est pas encore tout à fait là.
Emblème de cette absence de relève, le slalom français peine à voir émerger de nouveaux talents. Blessé, Victor Muffat-Jeandet ne participe pas à ces championnats du monde. De plus en plus performant dans les épreuves de vitesse, Alexis Pinturault délaisse quelque peu cette discipline technique et devrait disputer dimanche l’un des tous derniers slaloms de sa carrière afin de se concentrer sur ses nouveaux objectifs.
Chez les filles, la vétérane Nastasia Noens dispute sa dernière saison et n’est plus au niveau du podium depuis de nombreux hivers. Derrière elle, les jeunes Marie Lamure ou Chiara Pogneaux ont encore tout à prouver. Ne reste donc de performant sous la bannière bleu-blanc-rouge que le champion olympique aux 10 victoires en Coupe du Monde, Clément Noël.
Conséquence, la France va devoir compter sur le 59e mondial pour occuper sa place de troisième larron lors du slalom masculin dimanche. Steven Amiez, 24 ans, ne parvient pas à se dépêtrer du ventre mou du classement mondial et enfin rentrer dans le top 30 qui lui assurerait des qualifications probablement beaucoup plus régulières pour les deuxièmes manches des courses de Coupe du monde. Comme lui, d’autres jeunes Français, Paco Rassat ou Théo Letitre, stagnent et ne passent pas le cap.
Ce serait d’abord une question de confiance à écouter les acteurs avisés du monde du ski, comme Clément Noël. « Ça ne paraît pas, mais particulièrement en slalom il faut être bon dans la tête pour avoir tout le temps une forme de confiance en soi qui permet de lâcher son ski au maximum, explique le vainqueur en janvier du nocturne de Schladming en Autriche. Et quand cette confiance n’est pas là, on a du mal à s’auto-persuader que tout va bien se passer. Donc il faut accepter le processus sans se laisser mettre au fond du trou. Il y a plein de choses à gérer qui sont pour la plupart dans la tête, mais la tête influe sur la technique, sur l’engagement, sur le moral et sur plein d’autres choses, donc ce n’est pas facile de progresser et d’arriver dans le haut du panier. »
D’autant qu’en slalom, que cela soit chez les filles (Shiffrin, Vlhova, Duerr, etc) ou chez les garçons (Kristoffersen, Braathen, McGrath, Noël, etc.), la densité est extrêmement forte ces dernières saisons. Les cadors sont nombreux et les dépasser relève de l’exploit. Au point que sur le circuit masculin de la coupe du monde, un seul athlète a réussi cet hiver à intégrer le club aussi fermé que prestigieux des 30 meilleurs, le Norvégien Alexander Steen Olsen.
Un décalage générationnel dû aux bonnes performances des anciens pendant de longues périodes
En slalom comme dans d’autres disciplines, la France souffre aussi, en particulier chez les hommes, d’un décalage générationnel dû aux bonnes performances des anciens pendant de longues périodes. Compétitifs pendant près d’une vingtaine d’années, Julien Lizeroux et Jean-Baptiste Grange, récents retraités, n’ont pas vraiment laissé l’opportunité à des jeunes de gagner leur place en slalom. Au final, seuls Clément Noël, Alexis Pinturault et Victor Muffat-Jeandet y sont vraiment parvenus ces dernières années. Idem en descente, où Johan Clarey (42 ans) et Adrien Théaux (37 ans) continuent encore à être performants. Et à performances égales, la politique fédérale n’est pas de laisser les jeunes déloger les anciens. De quoi créer une sorte de creux générationnel, la question étant de savoir pourquoi si peu de jeunes ont émergé ces dernières années.
Cette question, la Fédération Française de ski se la pose au plus haut niveau. Et s’il reconnaît ne pas avoir de « solution », Pierre Mignerey, le DTN du ski tricolore, s’y arrache en tout cas les cheveux depuis sa prise de poste. Venu du ski de fond, il a pour leitmotiv de questionner le fonctionnement du système avec un œil neuf et forcément différent en partant du constat qu’aujourd’hui, la filière haut niveau française n’est pas alimentée de façon à rester une nation parmi les leaders du ski mondial, capable de pallier notamment avec son vivier aux nombreuses blessures de l’hiver.
« Sur la façon dont sont structurés les sport-études et la façon de les utiliser, il y a beaucoup de choses à redire, explique-t-il. Notamment sur la manière de mettre ensemble les meilleurs jeunes pour les faire progresser. On a encore trop tendance à ne pas travailler ensemble entre le niveau national, les régions et les clubs. Et si on arrivait à mettre tout cela plus en synergie, je pense qu’on serait plus efficace. »
Un constat partagé et précisé par Sébastien Amiez, vice-champion olympique de slalom en 2002, et papa de Steven Amiez. « En France on fait des sélections beaucoup trop tôt sur de jeunes skieurs qui n’ont pas encore fini leur croissance, au risque parfois de se priver de talents qui auraient pu éclore plus tard. Et comme on ne laisse pas aux gamins le temps pour s’exprimer, on réduit de fait le réservoir d’emblée et ça pose problème quelques années plus tard. On n’est pas les seuls à être dans ce cas de figure, mais aujourd’hui c’est une réalité en France. Les clubs doivent mieux accompagner leurs jeunes et moins les sélectionner en fonction d’un résultat brut à un instant-T. »
Une sélection drastique dont la raison est aussi probablement à chercher dans des questions plus financières. Avec le système actuel, les jeunes qui commencent à être performants coûtent très cher à la fédération, jusqu’à 50.000 euros par an, même si les familles apportent leur contribution.
Arnaud Souque, à Courchevel